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de quoi parlons-nous?



J'ai l'impression, en lisant les differentes contributions, d'un debat qui
se construit sur du sable mouvant. Lorsque Phillipson (Hi Robert, and yes,
see you in Tokyo) explique que le bilinguisme forme des esprits plus
ouverts, plus flexibles, il a sans doute raison. Mais alors le projet
auquel nous sommes confrontes serait de former des individus mieux
formes,pourquoi pas. Je m'interesse plus au plurilinguisme social, aux
situations dans lesquelles plusieurs langues coexistent dans une niche
ecolinguistique, convergent ou se font concurrence. Quelques chiffres que
tout le monde connait: s'il y a environ cinq mille langues dans le monde et
pas loin de 200 pays, cela fait une moyenne de 25 langues par pays. Bien
sur, les moyennes ne sont que des moyennes, mais elles nous montrent que le
plurilinguisme social est une realite. Face a cela, le plurilinguisme
individuel n'est pas seulement un fait d'elite, c'est surtout,
statistiquement, un fait de domines. Caliban, par exemple, que Shakespeare
a ainsi nommé par anagramme de canibal: Caliban is a canibal, and he
curses, okay.Mais j'ai le sentiment que les jurons sont aussi le fait des
dominants dans la langue des domines. Dans mon enfance tunisienne, le peu
d'arabe que nous parlions (nous= les jeunes français) etait surtout
constitue d'insultes. Dans les ecoles francaises aujourd'hui, les enfants
apprennent des injures en arabe,en portugais, en espagnol,en comorien, des
bribes de langues, un pseudo plurilinguisme.
Tout ceci est un peu confus (je ne suis pas en train d'ecrire un article ou
une conference) mais je voudrais insister sur deux ou trois choses:
1) La difference entre plurilinguisme social et individuel,donc
2) Le fait que les langues sont reliees entre elles par des bilingues et
que ces liens construisent une organisation gravitationnelles des langues
(voir sur ce point un livre que je sors en septembre, "Pour une écologie
deslangues du monde"): il y a des langues centrales (dont les locuteurs
tendent vers le monolinguisme) et des langues périphériques (dont les
locuteurs sont souvent plurilingues).
3) Le fait que les langues ne sont pas des monuments en péril qu'il faut
sauvegarder: ce n'est pas les langues que nous defendons,mais les
locuteurs, les etres humains. Dans la pensee politiquement correcte made in
the USA, après avoir massacre les "indians" on baptise les rares survivants
"native american": cela ne va pas resusciter les morts. Peut-etre que
bientot leurs langues seront enseignees a l'ecole, pourquoi pas.Mais cela
ne changera rien au passe. Il n'y a plus de "black english", mais un
"african american english", devenu aujourd'hui "ebonics" : cela ne change
rien a la misere des Noirs, cela donne bonne conscience aux Blancs. Et nous
sommes en pleine "newspeak": George Orwell is alive, and  well and living
in the USA, 1984 is today. Mais le vrai problème linguistique des USA est
celui de l'espagnol, c'est a dire celui des latinos, de la meme facon qu'en
France le probleme du bilinguisme francais/occitan ou français/corse ou
français/breton est un luxe de riche, le vrai probleme de societe etant
celui des langues de migrants, comme l'arabe ou le bambara.
Bon, j'arrete la ces considerations desordonnees, avec, en conclusion,
cette simple idee: n'oublions pas que lorsque nous parlons de langues, nous
parlons en cait de societes, et qu'a travers nos debats sur le
plurilinguisme nous debattons de modeles de societe. Alors, pour que le
debat soit clair, commencons par sa base.

Louis-Jean Calvet
Hameau de château l'arc
13 710 Fuveau
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louis-jean.calvet@wanadoo.fr